Il était une fois…quatre châteaux...



Sur son territoire Neuilly-sur-Marne a vu quatre grandes demeures qui méritent l’appellation qui aujourd’hui s’applique au château voisin de Champs-sur-Marne, construit au XVIIIème et qui concerne encore un des nombreux édifices de l’ensemble hospitalier de Ville-Évrard, dont la pièce d’honneur s’appelle « salle Donzelot » pour perpétuer le nom de son antépénultième propriétaire. Et les premiers cadastres, de Simane ou de Poyard, sont construits en fonction de leur présence, les divisions s’articulent autour de ces demeures prestigieuses par leur nom, dont on peut s’attendre à ce qu’elles aient abrité des personnalités également marquantes. Ces lignes voudraient les faire revivre en leur temps de splendeur, profitant des renseignements que nous fournissent les actes notariés, et s’arrêtant sur quelques-uns de leurs propriétaires emblématiques. Certes les deux premiers, Avron et Maison-Blanche, ne sont plus compris dans les limites administratives de Neuilly ; mais les séparations administratives ne peuvent rien contre l’histoire…


Le château d'Avron

Si dans l’arpentage de Simane il se situe partie sur le territoire de la paroisse et partie sur celui de Rosny, il n’en est plus ainsi huit ans plus tard : la limite entre les deux départements de Paris et de la Seine et l’Oise ne peut le séparer, et les auteurs du découpage de janvier 1790, dans leur infinie sagesse, ont souhaité le rattacher à la commune alors nommée Rosny sous le bois de Vincennes. Il ne reste plus donc que des souvenirs du temps où la famille Le Ragois de Bretonvilliers possédait le domaine sur les hauteurs ainsi que des terres dans la plaine ; les estampes, les gravures et autres documents figurés sont accessibles dans les publications de la Société d’Histoire de Rosny-sous-Bois, auxquelles nous renvoyons pour plus amples détails. Il suffira ici de reprendre les informations figurant dans ROSNY-SOUS-BOIS : de Rodoniacum à nos jours (éd. Maury, 1994) : Claude Le Ragois de Bretonvilliers, né en 1582, d’une famille de parlementaires, achète la seigneurie en 1634 et fait construire jusqu’en 1645, date de sa mort, une vaste demeure tout en aménageant le parc. Ses immenses revenus de fermier de l’impôt et de banquier royal le lui permettent assurément ; il emprunte au denier vingt (5 %) et prête au Roi Louis XIII au denier quatre (25 %)*. Il accueille à Avron dès 1635 une communauté ecclésiastique dépendant de Saint-Sulpice, dont Alexandre le Ragois son fils était curé, et liée à la Contre-Réforme catholique, qui semble une annexe du séminaire de Paris.

Le château resta la propriété de sa famille pendant sept générations ; il fut vendu par la petite-fille de son arrière-petit-fils. Charlotte Bénigne perdit son époux le marquis de Montmirail, l’arrière-petit-fils de Louvois, en 1764 et vendit l’année suivante à Jean-Baptiste Paulin d’Aguesseau, un descendant là encore d’une illustre famille de grands serviteurs du Roi (Il faut noter que le prénom Bénigne, illustré par le dijonnais Bossuet, apparaît dans la famille en 1622). Le château n’étant plus entretenu par les divers acquéreurs qui se succèdent alors est converti en bâtiment agricole l’an II (1794/5) pour être démoli en l’an VIII (1800/1). Les recherches de Louis-Émile Auxerre, fondateur de la Société d’Histoire de Rosny, basées sur les travaux d’Hector Espaulard et continuées par l’équipe réunie autour de Pierre Dijol et Noël Paillot, sont à la base de la solide étude à laquelle nous renvoyons. Elles ont établi que le titre de « seigneur d’Avron » n’apparaît pas avant la famille Le Ragois.
Il n’est donc pas étonnant que tous les vignerons, et tous les propriétaires de lopins de terre, exploitant le flanc occidental du plateau, soient tous sans exception domiciliés à Rosny : ils se sont partagé le parc du château dans les premières années du XIXème siècle, de même que les paysans de Neuilly, de Villemomble ou de Gagny ont participé à l’adjudication des biens ecclésiastiques situés dans la partie méridionale du plateau et se sont trouvés nombreux à la tête de parcelles de petite taille. Illustration ; la gravure de la P. 35 de Rosny/Rodoniacum


Le château de Neuilly

Il faut bien trouver un nom à cet énigmatique château qui apparaît sur l’arpentage de Simane en 1782, et figure sur le cadastre de Poyard en 1819. Il ne laisse pas d’intriguer les chercheurs et les historiens. Sur le plan dressé à la veille de la Révolution, une belle bâtisse, un parc boisé, des jardins symétriquement disposés, sont nettement visibles; ils occupent les terrains qui au XXème siècle seront divisés en 110 lots (« l’Épi d’Or ») ; et en 1819, dans la section B du cadastre, à l’écart du village mais le long de la grande route, notre géomètre a noté un château entouré de quatre hectares de terres et de jardins, potagers ou autres, et conservant deux haha, ces sauts de loup qui profitent des accidents du terrain pour ouvrir à la vue le paysage que l’on contemple de la terrasse et qui empêchent les animaux domestiques de quitter leur pré, comme, à l’origine, ils devaient empêcher les ennemis de pénétrer dans le château-fort en protégeant les douves. Le terme vient de l’architecture militaire et figure dans la première scène de la Métromanie, la plus célèbre comédie du dijonnais Alexis Piron (celui qui grava sur sa tombe « il ne fut rien, pas même académicien », parce que Louis XV refusa de ratifier son élection) où le personnage, en proie à une addiction aux vers puisqu’il ne s’exprime qu’en alexandrins, est tellement distrait qu’il choit de tout son long en se promenant dans le parc de son mécène, où se trouve un haha qu’il ne verra qu’en s’y précipitant. C’est le texte de Piron, mais éditeurs et acteurs ont remplacé, dès le milieu du XIXème, ce terme à leurs oreilles étrange, par fossé qui occupe aussi deux syllabes et du coup ils ont précipité le mot dans les oubliettes de la langue, selon le dictionnaire de Laveaux (1843). Il y avait aussi plusieurs haha dans le parc de Ville-Évrard, ils sont devenus ces « sauts de loup » des descriptions modernes : mais le château de Neuilly se distinguait par une autre rareté, une melonnière, serre où poussaient ces trésors de la gastronomie…

L’ancien maire est emprisonné et cède la place au trésorier des Provinces Illyriennes
Le domaine appartenait sous la Révolution au deuxième maire de Neuilly-sur-Marne, Albert Leroy qui avait jugé plus prudent d’accoler à ce patronyme celui de Dunatois (sans intervalle). Il fut maire jusqu’en 1808 et à cette date se retira à Paris rue Neuve Saint-Paul. Il avait acquis par les adjudications de 1791 et de l’an II des douzaines de terres, de part et d’autre du village, provenant des ventes de biens ecclésiastiques, peut-être aussi le château ? Il a été emprisonné , sans doute au début de 1813, à Sainte-Pélagie, cette prison parisienne où étaient regroupés les « dettiers », car à cette époque contracter des dettes et ne pas pouvoir les honorer, soit la faillite, menait à la prison (Honoré de Balzac constamment en proie aux huissiers a toujours vécu avec cette hantise de l’incarcération) , et cet établissement de la rive gauche (entre la rue Lacépède actuelle, la rue de la Clef et celle du Puits de l’Ermite) recevait de nouveau, à partir de la Restauration les prisonniers politiques, qui sous la Terreur y passaient avant l’échafaud (Mme Roland, André Chénier…).Béranger pour ses couplets satiriques, Paul-Louis Courier pour ses pamphlets anti-royalistes, y ont été incarcérés. Un acte du 5 mars 1813, passé en l’étude de maître Maigret à Neuilly par son fondé de pouvoirs François Lefevre, rue du Mont-Blanc à Paris, montre qu’Albert Leroy voulait louer des terres qu’il possédait à Neuilly, lieux dits Mare Nombry et Voierie du Marais (7.987 m²) ; mais le 29 du même mois ces terres doivent être vendues, pour apurer ses dettes. L’acte nous apprend que ces terres ont été acquises par Albert Leroy sur les biens des chanoines de Saint-Louis du Louvre en janvier 1791, sur adjudication au tribunal du ci-devant district de Gonesse, pour mille francs ; la vente de 1813 s’effectue au profit d’une proche du fondé de pouvoirs, la dame Élisabeth Corbin veuve Lefevre, 9 rue Joubert à Paris. Albert Leroy y est désigné « détenu en cette même ville à Sainte-Pélagie pour dettes, rue de la Clef ».

Description du château
Une autre vente notariée effectuée pendant les Cent-Jours, le 28 mai 1815, peut encore mieux nous éclairer sur ce terrain de 9 arpents soit 37.962 m², vendu, en l’état semble-t-il, par ses tout récents propriétaires, deux marchands de métaux à Paris, les sieurs Lavessière et Bénech, à François Nouguez l’aîné, demeurant aussi à Paris , rue de Thionville 38 (ce n’est pas la rue actuelle le long du canal de l’Ourcq qui n’était pas percé et d’ailleurs ce lieu, dans le XIXème arrondissement, n’était pas encore incorporé à la capitale). Nous connaissons ce personnage à Neuilly durant quatre années, nous savons qu’il eut le malheur d’y perdre son fils âgé de cinq ans, et qu’il se présente dans les actes comme « ancien receveur des contributions en Illyrie », c’est-à-dire dans les provinces de l’Empire longeant la côte dalmate, en Croatie actuelle, qui étaient rattachées administrativement à Corfou, chef-lieu du département éphémère des Îles Ioniennes, dont l’administrateur était François-Xavier Donzelot. Il y a tout lieu de penser que cette acquisition est liée à la personne du propriétaire de Ville-Évrard. Ensuite nous en perdons la trace et son nom ne figure pas sur la matrice cadastrale, alors qu’il est témoin dans de nombreux actes notariés et de l’état-civil durant les années 1816 à 1819.
Comme cette vente décrit à la fois le domaine qu’il acquiert et les transformations que Nouguès y fait effectuer par les vendeurs, il semble loisible de considérer que c’est à cette époque qu’a été réalisée la transformation observée entre ces deux plans, et que les actes notariés décrivent sans nous dire l’état des bâtiments vendus ; la somme de 15.000 francs laisse toutefois penser qu’ils n’étaient pas en mauvais état. C’est en effet le double de la vente de l’auberge du Grand Cerf.

L’acte décrit donc :
- une maison bourgeoise située sur la grande rue du village, le corps principal du logis étant constitué d’un rez-de-chaussée élevé d’un étage, le second étage étant lambrissé, avec onze croisées (fenêtres) de front (par étage) ce qui indique l’aspect majestueux de la bâtisse ; à l’intérieur après le vestibule, se trouvent une salle à manger, un salon d’été, un autre salon pour l’automne, une bibliothèque. Un escalier permet à chaque extrémité de monter au premier étage, composé de trois chambres à coucher, toutes avec une cheminée comme l’un des quatre ‘cabinets’, et d’une garde-robe avec alcôve. À l’étage lambrissé (et couvert de tuiles) se trouvent encore trois chambres avec cheminée. Il n’emploie pas le terme de château.
- puis un autre bâtiment, (destination donc agricole) composé d’une grande pièce (deux croisées), en rez-de-chaussée couvert en tuiles ; il donne sur une cour (servant de basse-cour), ouvre sur les caves par l’appentis, puis une remise (couverte en tuiles), un poulailler, les ‘latrines’, et une volière autour.
- la basse-cour a son entrée par une porte charretière (ne pas confondre avec la porte cochère, elle sert aux travaux agricoles) et communique par une grille en fer avec le corps pr(incipal ; on y trouve une écurie, deux remises, des greniers et des chambres mansardées au-dessus, visiblement pour le palefrenier. Un hangar composé de deux travées délimitées par des poteaux est en appentis, il est couvert de tuiles et un escalier monte aux chambres décrites plus haut, Il y a encore deux toits à porcs et deux lapinières (nous dirions ‘clapiers’) couverts de tuiles eux aussi.
- ensuite un terrain clos de murs est la ‘melonnière’, avec le puits, il est séparé de la cour par une grille en bois et montre l’aisance des propriétaires qui disposent comme leur rang l’exige d’un terrain spécialisé pour les melons (et autres cucurbitacées) dont les hautes classes raffolaient, voir ainsi Alexandre Dumas à Port-Marly.
- à droite, très loin du corps principal dans la description, un autre bâtiment (rez-de-chaussée, cave et étage lambrissé, grenier mansardé) sert de cuisine, puis office, puis garde-manger, l’étage comporte trois chambres de domestiques. Le rez-de-chaussée a quatre fenêtres avec des barreaux de fer.
- en retour, un appentis sert de réserve et de toit à porcs.

Le jardin est ensuite décrit en deux parties séparées par un mur de refend ; un potager, avec des arbres en espaliers (et non pas en forme de quenouille, comme on en trouve souvent, mélangés aux espaliers), des pieds de vigne, un bois et des massifs, allées et terrasses d’agrément comme il se doit pour le fisc. Les essences sont principalement des marronniers et des tilleuls.
Le notaire remarque qu’une partie du jardin a déjà été vendue au baron Liborel, le propriétaire de Maison-Blanche : 4.078 m² ont été soustraits en sa faveur, du temps d’Albert Leroy, et il doit entrer en leur possession à la saint Martin de 1820. Cela implique que les travaux dont il va être question sont prévus dès ce moment. Or le cadastre de 1819 indique quatre hectares et demie pour les possessions de ce lot, et ne fait pas état de la présence du baron Liborel sur les terres du château : cette soustraction a dû être annulée entre 1815 et 1819, sans doute par accord amiable, mais la trace est perdue de cette annulation.

Les conditions de la vente imposées aux vendeurs par l’acquéreur sont la démolition de la plus grande partie de ces constructions : le grand corps de bâtiment sera réduit à quatre croisées au lieu de onze et un mur de refend sera construit pour la solidité de ce qui va rester ; ce mur se prolongera jusqu’à la rue et montera au faîte ; la salle de billard (sans aucun doute le deuxième bâtiment dans l’énumération) sera démolie ainsi que les appentis qui y sont adossés ; la petite maison ayant son entrée par la grande rue sera aussi démolie. Les matériaux seront utilisés à combler les caves et le reste sera à la disposition des vendeurs, charge à eux de les évacuer par la basse-cour (et l’entrée de service sur la rue). Nouguez pourra à son gré conserver avant la démolition sept articles :
- les deux croisées du bâtiment à démolir (la cuisine) et deux autres qui seront échangées contre les quatre croisées du bâtiment restant donnant sur le jardin ;
- la moitié du parquet du salon après le mur de refend, il devra être ragréé et l’acquéreur devra donner aux vendeurs une superficie égale, en carreaux de liais ;
- deux morceaux de la glace de ce salon destiné à la démolition seront conservés avec leur parquet entier, ainsi qu’une autre petite glace et son parquet, dans l’une des chambres à démolir ;
- un chambranle avec sa tablette en marbre que l’acquéreur choisira parmi les cheminées à démolir ;
- la grande porte vitrée du salon où sont les glaces, avec ses contrevents, leurs espagnolettes, et les garnitures et ferrements ;
- trois croisées formant le premier lot des biens vendus.
- les armoires du cabinet qui doit disparaître après le mur de refend.

Les vendeurs avaient acheté ce domaine l’an passé, à l’adjudication du tribunal de Pontoise le 15 septembre 1814. C’est là que nous avions appris que le propriétaire saisi était Albert Leroy-Dunatois , le deuxième maire de Neuilly*, et que le créancier était un sieur Garouleau de Juillée, avec pour avoué poursuivant maître Coulleau. La folle enchère avait été adjugée à un ‘chaircuitier’ parisien, Pierre-Simon Levasseur. Mais Leroy-Dunatois avait fait appel et un arrêt de la Cour d’appel le 2 janvier 1815 l’ayant débouté, la vente avait été effectuée dans la huitaine et il y avait eu déjà une surenchère de François Nouguez que le tribunal avait déclaré nulle. Cette fois le trésorier l’emporte sur le charcutier. Les 15.000 francs de l’adjudication ont servi à calmer les créanciers de l’ancien maire…et Nouguez a pu, à la fin de l’été, entrer en possession du bien qu’il convoitait. Sans aucun doute, les acquéreurs intérimaires devaient être intéressés par les matériaux de démolition, puisqu’ils ajoutent que si au premier juin 1816 ils n’ont pas emporté tous les matériaux, ils seront la propriété de M. Nouguez, et de plus ils s’engagent à murer les portes et les croisées donnant sur la grande rue (Nouguez savait l’imminence de l’impôt sur les portes et fenêtres et prenait les devants) et la dernière précision est pour le mur de refend ; il sera ragréé pour qu’il ne soit ni plus haut ni plus bas que la rue, et enfin les deux vendeurs paieront le ragrément de la maison restante.

Pendant ce temps, Albert Leroy moisissait à Sainte-Pélagie, entre les prisonniers politiques, de moins en moins nombreux, et les « dettiers », prisonniers « de la dette » mieux traités que les premiers, puisqu’ils avaient droit à deux promenades quotidiennes ; ils succédaient aux 1800 détenus de la Convention (chiffre réduit à 254 en 1814) et pouvaient acheter l’amélioration de leur ordinaire (purée du dimanche au vendredi, riz le samedi et haricots le lundi, lentilles un mardi sur deux) à l’Administration qui leur permettait de faire venir des traiteurs ou d’acheter du savon. Ils côtoyaient les prisonniers en-deçà d’un an de détention.
Leroy avait certainement trop emprunté pour meubler son château…

François Nouguez habite alors Neuilly et le 30 septembre 1815 il est à l’étude de Maître Debionne avec trois notabilités (Nicolas Antoine, le receveur à vie, au zénith de sa gloire, Jean-Michel Guerrier le propriétaire de l’ex-grenier à sel qui deviendra l’étude quarante ans plus tard, et un Bourgeois) en qualité de témoins du testament de la dame Anastasie Brémont, propriétaire à Coubron, atteinte d’un cancer à la joue gauche mais saine d’esprit. Les quatre témoins sont décrits régnicoles par le notaire : fidèles sujet du Roi, veut-il écrire, ce qui se conçoit fort bien après le départ de l’Empereur. Mais l’un des quatre réprimande le scribe, qui biffe le terme et le remplace par « républicoles », ce qui ne manque pas d’intriguer: car quelle République pouvait être leur modèle ? Ce terme figure dans la plupart des actes notariés pour qualifier les témoins et les acheteurs pendant deux années.

Monsieur le Comte Côme de Baillon
Revenons à Neuilly. Visiblement les travaux voulus par Nouguez ont été effectués puisque les bâtiments à démolir ne figurent plus dans le cadastre dit napoléonien. Poyard montre, quatre années plus tard, ce qu’est devenu la propriété. Contrairement au notaire, le rédacteur qualifie la maison de « château » et la range dans la section B de son cadastre, celle de Maison-Blanche. Mais le domaine est situé en face du village, et s’ouvre sur la grande route, toujours désignée ‘de Paris à Lagny’ et sur l’amorce de la rue Foulques, à quelques pieds de l’église donc. Il couvre dix numéros de cadastre et est coupé par le jardin de 1090 m² que le sieur Étienne Poulain n’a pas voulu céder, le château est la pièce B 273 occupant 1143m² au sol, 1550 avec la cour. On commence par un bois d’agrément de près d’un hectare et demi (14.435 m²) au bout duquel se trouve un haha de 85 m² compté à part, car considéré par le fisc comme d’agrément ; vient un potager d’un peu plus d’un hectare (11.270 m²) ; une terre et un second bois d’agrément rajoutent 8600 m² avant d’en venir au château ; près de lui un bâtiment (terme spécifique des activités agricoles) occupe encore 1495 m² ; derrière lui un potager de 4.755 m², un jardin de 655 m² et plus de quatre hectares de terres cultivables complètent la propriété vers le Nord; un second haha, décrit planté et classé d’agrément, ferme la vue de cette terre.

Le propriétaire n’est plus François Nouguez, dont la trace se perd après le décès de son fils Pierre Henry-Elphège, le 11 mars 1819. Son épouse Adélaïde Gilles, dite Pélissier, n’a pas un nom à consonances anglo-saxonnes, sans aucun doute, le choix de ce prénom rappelle un épisode de la vie de ce receveur des finances qui a dû être en contact avec un anglais, de Cantorbéry puisque le prénom d’Elphège est lié à deux archevêques primats de la Grande Bretagne lors de l’évangélisation de l’Angleterre, et l’enfant a dû naître début 1814 à Corfou…toutes les hypothèses sont ouvertes.

Le nouveau propriétaire est le comte de Baillon, qualifié sur les actes officiels d’aide de camp du maréchal Oudinot ; or ce brave dignitaire de l’Empire, présent à toutes les grandes batailles de Napoléon, sut retourner sa veste lors de la première Restauration et demeura fidèle à Louis XVIII qui le fit commandant de la Garde Nationale après les Cent-Jours. Il finit gouverneur militaire des Invalides peu avant sa mort (1845), en succédant au maréchal Marmont (1843). Et nous avions trouvé, parmi les acquéreurs des terres de Girard de Bussou, Claude Lapoix-Fréminville, le trésorier des Invalides à la toute fin du XVIIIème siècle : cela ne doit pas être une simple coïncidence. Le trésorier de l’hospice sous l’Ancien Régime était propriétaire de Ville-Évrard, vingt ans après l‘homme de confiance du chef des armées de la Royauté restaurée s’installe à Neuilly, près du général Donzelot qui, lui aussi, entretint d’excellentes relations avec la monarchie restaurée et dont il avait été l’un des plus proches collaborateurs. Côme-Gérard de Baillon se présente, dans un acte de 1816 (il possède déjà des terrains), comme ancien mousquetaire noir à cheval (par opposition aux mousquetaires rouges illustrés par Vigny) donc de la garde personnelle du Roi ; il demeure à Paris rue Portefoin au Marais et est officier de la Légion d’Honneur; il profite du domaine jusqu’en 1841 où la matrice cadastrale enregistre la mutation de l’ensemble à Antoine Vessières, propriétaire parisien, qui en fait donc sa résidence d’été. Ensuite le domaine est morcelé, lors d’un des tout premiers lotissements du début du XXème siècle; mais dans la partie la plus proche de la route nationale, les propriétaires des pavillons qui en ont pris la place trouvent parfois de très gros moellons dans leurs caves remblayées, voire des fragments de statues qui attestent encore de l’existence de ce fantomatique Château.


Le Château de Maison-Blanche

Comme pour le château d’Avron, il se situait pour partie sur deux paroisses, celle de Gagny et pour partie sur celle de Neuilly ; une délimitation plus tardive (1819) en attribua toutes les terres à Gagny, et la limite entre les deux communes se situe en-dessous du lac de Maison-Blanche, souvenir du temps où le seul châtelain et ses invités pouvaient profiter de la pièce d’eau, alimentée par une des branches du rû Saint-Baudile. La limite passait au temps de Simane par les dépendances du château ; la logique voulait, comme pour Avron, que toutes les terres dépendent de la même commune et les opérations du cadastre effectuées sous l’Empire s’achèvent la même année 1819 où la nouvelle limite entre en vigueur, et donc le château de Maison-Blanche ne dépend plus de Neuilly ; 80 ans plus tard, quand il s’agit de baptiser le nouvel hôpital qui se construit au Nord de Ville-Évrard, le chemin de Maison-Blanche qui reliait les deux châteaux existe toujours et c’est fort logiquement que l’Administration de la Seine, propriétaire des terres depuis 1868, leur attribue le nom de Maison-Blanche, qui semble réannexer à Neuilly ce terme (à Gagny la couleur de la façade distinguait Maison-Blanche et Maison-Rouge, et Maison-Guyot s’y ajoutait : nous renvoyons aux publications des sociétés amies et voisines, la société d’Histoire de Gagny et celle du Raincy-Pays d’Aulnoye).

Cet ouvrage évoque donc seulement le dernier propriétaire des terres nocéennes de Maison-Blanche, le baron Liborel (Guillaume, François, Joseph), étonnant personnage qui en fit l’acquisition sous le Directoire, puisqu’avant l’an IV il vivait à Arras ; il était né à Saint-Omer en 1739 ; il était avocat et plaidait au parlement d’Artois (cette province avait été distraite des Pays-Bas espagnols par le traité des Pyrénées sous la minorité de Louis XIV (1659), neuf ans avant l’annexion au royaume de Lille et de la Flandre devenue française). C’était la gloire du barreau d’Arras.

Le mentor de Robespierre
Son nom est célèbre parce qu’il patronna les débuts au barreau d’un jeune collègue nommé Maximilien Robespierre, né lui à Arras en 1758, et qu’il lui confia la défense d’un habitant de sa ville natale, Saint-Omer, un nommé Sillery, qui avait installé un paratonnerre dans son jardin ; un de ses voisins craignant que cette machine infernale ne provoquât l’incendie du quartier lui intenta un procès au Conseil d’Artois et fit appel à un médecin récemment installé à Paris, le docteur Jean-Paul Marat, qui venait de publier un mémoire reprenant onze cas d’incendie ou de foudroiement attribués à ce genre d’engins. Le jeune Maximilien Robespierre remua ciel et terre pour plaider la cause de son client et montra que pareille machine était installée au château de Marly, où séjournait parfois Louis XVI : or, plaida-t-il, si cette machine était dangereuse, nul n’oserait exposer la tête chérie de toute la nation de son auguste souverain ; Marat n’était qu’un fou et réfuter son travail ridicule serait perte de temps. Le jeune Robespierre obtint l’acquittement du sieur Sillery et les gazettes d’Arras imprimaient le lendemain que le talent de ce jeune homme plein d’avenir laissait loin derrière lui les ténors du barreau arrageois, Maître Liborel figurant au premier rang. C’était en 1783 ; dix ans plus tard Charlotte Corday venait de trucider l’Ami du Peuple et la royale tête tombait dans le panier du bourreau. Robespierre, de la maison du menuisier Leplay, dominait la France et faisait trembler l’Europe…

Même les biographies publiées en russe de Robespierre citent le nom de Liborel, ainsi Albert Zakhanovitch Manfred dans son ouvrage Rousseau Mirabeau Robespierre (Moscou 1976) : M. Liborel, le doyen et le plus estimé des avocats d’Arras a pris son jeune collègue sous sa protection, écrit-il page 316 de la traduction française (1979).

Ce n’est qu’en 1795 que Liborel vint à Paris où il fut élu représentant du Pas-de-Calais au Conseil des Anciens (l’ancêtre de notre actuel Sénat) le 24 vendémiaire an IV de la République qui venait quatorze mois auparavant, le 9 thermidor an II, de guillotiner Robespierre, entre temps il avait doté sa ville natale, Saint-Omer, d’un tribunal ; il siégea à ce Conseil jusqu’en germinal de l’an VIII où il devint juge à la Cour de Cassation. Il y rédigea les rapports sur ‘les sujets les plus importants’, obtint la Légion d’Honneur dès sa création l’an XII (1804), devint Chevalier de l’Empire en 1808, et enfin fut fait baron par Louis XVIII en février 1815, quand il obtint l’honorariat. Il avait 76 ans, et il profita encore de sa retraite quatorze ans puisqu’il décéda à son domicile parisien, 53 rue du Cherche-Midi, en avril 1829. Il avait eu seize enfants dont neuf moururent en bas âge.
Illustration : le sacre deNapoléon puisqu’il y était

Les deux mariages de Bénédicte Liborel
Il marie sa fille Bénédicte le 10 août 1813. Maître Debionne se déplace pour faire signer le contrat en la maison de campagne de Guillaume François Joseph Liborel, conseiller à la cour de cassation, chevalier de la Légion d’Honneur, elle épouse maître Valentin Roty, avocat à la Cour Impériale de Douai, fils de Charles Gervais Roty, propriétaire à Arras. Le parrain de Bénédicte, son oncle prénommé Guillaume, selon l’acte, est juge au tribunal de Corbeil.

Le 12 août 1816, toutefois, le même notaire se déplace chez le baron Liborel pour établir le contrat de mariage de sa fille Bénédicte, avec un noble avocat languedocien, Antoine Moly de Billorgues, ex-président de la première chambre du tribunal civil de Montauban, conseiller à la cour royale de Toulouse. Son père, Marie Joseph Moly est décédé et sa mère née Elisabeth Garrigues de Lagarcie prend comme fondé de pouvoir à Paris Pierre-Joseph de Malleville, demeurant 34 rue du Cherche-Midi (c’est l’adresse du baron Liborel et la signature de la tante de la mariée porte : Maleville née Liborel) : c’est la première attestation de la famille de Maleville à Neuilly-sur-Marne. L’acte a été passé devant maître Vignié de Rodez et les terres de Billorgues sont dans le département de l’Aveyron, elles constituent la dot, à Salles Contour et à Ceignac dans ce département. Le père est désormais conseiller honoraire à la cour de Cassation et dans cet acte nous voyons la signature de la mère de Bénédicte, née Anne Madeleine Victoire Letourbe, mais non de son parrain.

Guillaume François Joseph Liborel fut le dernier possesseur de ce château de Maison-Blanche quand une partie se situait sur le territoire nocéen, puisque, les cartes l’ont montré, la rectification des limites entre Gagny et Neuilly s’effectue de son vivant en 1819. On peut en reconstituer l’environnement par cette vente du 6 septembre 1817 : Armand-Parfait Huet, receveur des rentes demeurant à Paris rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, vend à Charles Samson un bois de 2.236 m² planté de bouleaux, noisetiers et dix baliveaux de chênes,- ce sont de jeunes pousses que l’on réserve pour les laisser atteindre leur taille maximale avant de les couper, arbres de futaie et non de taillis-, situé sur la commune de Gagny près de la route de Montfermeil au lieu appelé Maison Rouge, avec pour voisins les Dames de Chelles, Girard et le duc d’Orléans : le notaire recopie ici sans vergogne les propriétaires de 1789. Ce Girard est le propriétaire du château de Ville-Évrard.

Un autre acte de septembre 1813 associe les deux terres puisque Louis Samson, demeurant en la ferme de Ville-Évrard, échange 2.198 m² de terre « aux allées de Maison-Blanche » que le chemin de Meaux traverse, provenant de l’héritage Héricourt, avec 1989 m² à La Grille, des héritiers Doublet (et 150 Francs pour compléter).


Le Château de Ville-Évrard

Depuis les travaux érudits de l’abbé Lebeuf, dans son Histoire du diocèse de Paris, (1753 pour le doyenné de Chelles) il est facile d’énumérer les propriétaires de ce domaine, depuis 1457. Tous sont liés à la haute administration financière du royaume, siègent au plus près du Roi en ses conseils, à commencer par le premier, Robert des Roches, maître des Comptes. Des conseillers d’état, des receveurs des consignations, succèdent au XVII° siècle à François Dolu époux Le Picard, conseiller privé du Roi Henri III ; et la plupart subissent la disgrâce comme Berthelot de Pléneuf qui doit passer les Alpes sur ordre du Régent en 1719 ; sa femme se fait adjuger le château et le revend à Ponce Coche, premier valet de chambre de Monseigneur le Duc d’Orléans (Philippe le deuxième de ce nom) régent du Royaume pendant la minorité de Louis XV dont le château du Raincy est voisin. Durant un siècle le château va rester entre les mains de cette famille ; Jean-Baptiste Charasson ne l’a pas vu dans son ouvrage de 1903. Selon les enquêtes de Lebeuf il ne subsiste que le jardin, le château était démoli à l’époque. La reconstruction du domaine impliquait de gros capitaux que seul un proche du pouvoir pouvait obtenir. Madame veuve Coche, née Marie-Anne Bédoré, avait désigné par testament passé le 20 février 1743 Hilaire-Robert-Nazaire Girard dit de Bussou, son petit-neveu, comme son héritier principal, par-devant maître Gervais, notaire à Paris. Elle décède en 1755, son petit-neveu dédommage les autres collatéraux par-devant notaire et est alors le seul propriétaire du domaine. Hilaire Girard de Bussou administre alors durant quarante années le domaine de Ville-Évrard et passe d’innombrables contrats de bail avec les paysans nocéens qui cultivent les terres pour son compte. Le cahier de doléances de 1789 lui est remis, et le niveau de compétences et la hauteur de vue dont ces pages denses et argumentées fait preuve laissent penser qu’il l’a, en fait, rédigé. Les cinq années suivantes, il conclut des contrats de bail pour ses terres comme sous l’Ancien régime, à la différence qu’il les rédige sur des textes imprimés : il n’a plus qu’à compléter les noms de ses fermiers et les lieux des terres ; mais à part cette révolution, rien n’est changé jusqu’au moment où il décide, sous le Directoire, de tout vendre.

La transmission des terres, de la ferme et du château
Du côté de Chelles, les terres et la ferme font quant à elles partie des biens de la ferme de Saint-Benoît. Elles ont donc été confisquées, les biens ecclésiastiques étant mis à la disposition de la Nation en 1791. Cette communauté en avait donné bail emphytéotique pour 99 ans à la saint Martin 1721, le chapelain traitant alors avec le sieur de Lamberé-Decoux et son épouse née Duvivier pour 350 livres de fermage annuel (le dernier fermage payé l’an XIII par Jean-Louis Héricourt). Elles ont été adjugées le 28 ventôse an II pour un million de livres à l’épouse du chevalier Lecouteulx de la Noraye. Elles représentaient, au seul lieu dit Le Trou à Sable 25.459 m², en cinq pièces, et font partie d’un échange entre le baron Daniel Roger chevalier de la Légion d’Honneur, demeurant 11 rue de Choiseul, et le baron Liborel le 27 mars 1819. Roger avait auparavant acheté ces terres des héritiers Lecouteulx, à savoir, écrit le clerc: le maire d’Alençon, Jacques Mercier marié à Madeleine Olympe Lecouteulx ; Jacques Lecouteulx, dit Lecouteulx de Molay, préfet de la Côte-d’Or et son épouse, Barthélémy Laurent Lecouteulx, propriétaire à Paris et Camille Perrier, préfet de la Corrèze, marié à Anne Pélagie Lecouteulx. L’opération a eu lieu pendant que Jacques était préfet à Dijon (1809-1812). Ces quatre héritiers avaient obtenu ces terres en indivis de Marie Madeleine Le Boucher, épouse séparée de Barthélémy Ambroise Lecouteulx de la Norraye (né en 1752). Ce fut le représentant du district de Saint-Leu et Saint-Gilles (Seine-et-Oise) aux états généraux de juillet 1789. Il avait procédé à un semblant de divorce pour sauvegarder ses biens en les mettant au nom de son épouse, devant le tribunal de la ville d’Émile (là où Rousseau avait écrit son traité de l’éducation, soit Montmorency) ; il connut la prison sous la Terreur mais put sortir de la Conciergerie autrement que sur la charrette des condamnés en y engloutissant une bonne part de sa fortune ; quant à Jacques Mercier, alors maire d’Alençon, leur gendre marié l’an VII, il y avait repris des manufactures et n’avait qu’à suivre l’exemple de son cousin exploitait à Noisy un atelier de tissage avec 40 métiers et 15 mécaniques pour tisser la toile ; il est élu député de l’Orne de 1815 à 1852.

Ces quatre héritiers Lecouteulx sont installés de l’autre côté de la Marne, à Noisy-le-Grand (Villeflix) en 1788, jusqu’à l’an VIII où leurs biens sont vendus aux enchères par les soins du notaire de Neuilly ; Marie-Madeleine le Boucher en tire plus de onze mille francs et s’en va finir ses jours à Bondy. Ils sont petits-cousins du célèbre Jean Barthélémy Lecouteulx, dit de Canteleu, pour le distinguer des précédents, ce banquier rouennais (1746-1818), député de la Seine au Conseil des Anciens. Il est l’un des seuls politiciens de l’époque à manier l’économie, du fait de sa profession : d’ailleurs il fut le mentor de Conrad Hottinguer, commis à sa banque puis son secrétaire qui vola de ses propres ailes et fonda une banque prospère après le Consulat. Par ses relations avec Barras, il connaît la famille Beauharnais et c’est lui qui propose à Joséphine de la Pagerie (veuve Beauharnais), la future épouse du général Bonaparte, d’échanger ses propriétés de Noisy-le-Grand qu’il convoite, contre le château de la Malmaison, de l’autre côté de Paris. Sa carrière est couronnée par la création de la Banque de France, dont il est sous le Consulat le premier régent avec Perrégaux. Il est connu pour avoir bâti sa fortune à partir de 1791, en achetant à bon compte des biens ecclésiastiques adjugés selon les décrets du 13 mai et du 16 juillet de cette année. Visiblement, il incitait les siens à l’imiter. Ses parents ont ainsi acquis les terres des Bénédictins et continuaient à faire exploiter la terre par Jean-Laurent Héricourt, l’aubergiste du Grand Cerf et Pierre-François Josse, mercier ; le dernier acte les concernant a été passé chez maître Hercend le 1er thermidor an XIII (22 juillet 1805).

La contrepartie de cet échange est une terre labourable aux Faucherais (sic), de 26.677 m² dont les voisins sont l’avoué Bouland et le général Donzelot. Liborel l’avait acquise de la veuve Douttremer-Demargat, elle-même en ayant fait l’achat de Lapoix-Fréminville, acquéreur lui-même de Girard de Bussou.

La ferme de Ville-Évrard, quant à elle, couvrant 126.626 m², est adjugée à Versailles en juillet 1813, elle est alors la propriété de la Caisse d’Amortissement, et la loi permettant l’adjudication de ses propriétés est promulguée en mars de la même année. Six lots sont mis à prix et le baron Liborel reçoit la propriété de cinq d’entre eux pour 106.016 m², Louis Samson du lot 5 pour 20.666 m² (selon les actes) ils ne sont pas présents à Versailles ce jour-là, mais représenté par leur fondé de pouvoir Louis Jean-Baptiste Guerrier (dont un parent réside dans la grande demeure à l’entrée du village, près du Grand Cerf, ancien grenier à sel et future étude notariale). La vente rapporte 20.000 francs à l’État qui en a le plus urgent besoin. La Caisse d’Amortissement a succédé à la Caisse de l’Extraordinaire qui recueillait les biens du Roi, puis ceux de la Nation, donc les biens des ci-devant communautés religieuses qui n’avaient pas trouvé adjudicataire. L’actuelle Caisse des Dépôts et Consignations lui a succédé sous la Restauration.

Ces terres seront ensuite la propriété du général Donzelot par un acte ultérieur, passé chez un notaire parisien. Il faudra attendre 1815 pour que la ferme soit réunie aux autres terres et que Donzelot en soit le seul propriétaire. A ce moment, les Samson ne résident plus à Ville-Évrard mais s’installent à l’entrée du village, justement dans la propriété qu’ils rachètent à Guerrier.

Le démembrement du domaine à partir de l’an VII (1800)
Si les terres ecclésiastiques sont vendues par plusieurs adjudications, les terres qui dépendent du château suivent un chemin plus régulier. Le 11 nivôse an VII, 1er février 1800 selon notre comput, Girard de Bussou n’est plus le propriétaire du domaine. Il ne quitte plus son domicile parisien rue Saint-Dominique, et ce jour-là il vend par-devant maître Charpentier, notaire parisien, toutes ses propriétés nocéennes à Claude Lapoix-Fréminville, le trésorier de l’Hôtel des Invalides (donc un de ses voisins) et à Christophe Dufour, un huissier du Corps législatif. A eux deux ils se partagent les terres et le château. Claude Lapoix-Fréminville meurt l’an VIII. Alors, sa veuve vend les différentes parcelles de terre dont se compose le domaine, à divers acquéreurs. Ainsi dès ventôse an VIII une vente est effectuée au profit de Jean Huguenot, huissier au tribunal civil de première instance, 11 quai de Billy à Paris. 28 arpents et demi, en trois lots, deux au Grimpet sur le bas du Plateau d’Avron, et un à la Guette. Les époux Huguenot les conservent jusqu’en avril 1814 ; ils vendent alors à Jean-Louis Brodelet, propriétaire à Paris, 11 rue Vendôme. Mais l’acquéreur les paye l’année suivante et doit donc leur donner 10 % d’intérêt. Ce sieur Brodelet est déjà propriétaire de neuf autres terres pour une contenance de plus de 100.000 m² en tout ; il passe à l’étude et signe en un jour tous les baux avec des Lamant, le père et le fils, des Bonnard, des Bourgeois; ces pièces sont autour du rû Saint-Baudile et le bornage en marque déjà le voisinage avec « monsieur Donzelot » pour chacune d’elles. En 1819, Brodelet n’apparaît plus car il a tout vendu au général.

Ensuite, la veuve Elisabeth-Théodore Lapoix de Fréminville revend par devant maître Hercend, le notaire de Neuilly, le 13 messidor an XI, à Blampin le charron, un arpent de terre aux Bas Pays.

Les héritiers Lapoix et Dufour revendent la Haute-Île l’an IX (soit en 1801) devant maître Mouscadet le notaire de Fontenay à M. Doutremer-Dumargat, à Rennes ; celui-ci décède et l’an XI sa veuve revend les propriétés nocéennes au baron Roger, le propriétaire de Gagny qui en fut longtemps maire, comme les terres des Faucherets évoquées plus haut. Ensuite, le baron Roger les revend au général Donzelot.

Entre Corfou et Waterloo le général Donzelot s’ancre au château de Ville-Évrard
Durant son séjour à Corfou le général est représenté par son homme de confiance Claude-François Roméron, chevalier de la Légion d’Honneur, 127 rue Montmartre à Paris. Il en sera de même durant son administration de la Martinique. Tous les actes sont passés en son nom par lui.
A partir de 1814 le général est revenu de Corfou, avec de solides espèces bien sonnantes. Il loge au 21 rue des Fossés-Montmartre, et il lui arrive de venir lui-même à l’étude, ainsi le 23 janvier 1815 c’est un vigneron de Gagny, Perrier, qui lui vend un arpent de terre (3978 m²) qu’il a acquis l’an II, comme bien national appartenant à un condamné nommé Jean-Joseph Payen. De Gagny, il faut le souligner.

C’est le 10 avril 1815 (neuf semaines avant le fatidique 18 juin 1815 : Waterloo) qu’il revient à Neuilly-sur-Marne, en fait, chez Jean-Louis Brodelet en sa maison de campagne de Maison-Blanche et le notaire Debionne s’y déplace. Il vient authentifier des ventes et des échanges ; c’est ce jour-là qu’il choisit Neuilly aux dépens de Gagny , c’était en effet à Gagny qu’il avait fait ses premiers achats de terres, sises au Chénay et à lui vendues par Anatole Joseph Lambert, commissaire ordonnateur des guerres, selon un acte passé devant maîtres Ménard et Defaucompret (le père de l’auteur du fameux Dictionnaire grec) le 15 ventôse de l’an XII (soit début 1805 : il revient de la campagne égyptienne par Bayonne et Brest). Ces terres limitrophes des deux communes avaient été acquises devant le même notaire parisien, dès le 4 floréal an VIII, par cet Anatole Lambert, de Claude Lapoix-Fréminville. Elles étaient donc en possession de Girard de Bussou. Ces pièces bordent le château de Maison-Blanche et le chemin qui y conduit depuis Ville-Évrard. Il y en a pour plus de sept hectares, exactement 71.604 m² sur Gagny et le Général échange ces terres avec 71.445 m² que possédait Jean-Louis Brodelet sur le terroir de Neuilly ; Brodelet en avait fait l’achat de Nicolas Chompré, un conseiller à la criée des Prises, et lui aussi les avait acquises de Lapoix-Fréminville. Ces sept hectares jouxtent la ferme, le chemin du Port, les terres de M. Leroy l’ancien maire, et celles des Coupard de la Blotterye : donc la partie entre le rû Saint-Baudile et la Marne au Sud de la route impériale. Ainsi, progressivement, les actes notariés nous apprennent comment les terres de Girard ont été démembrées par leurs acquéreurs premiers, et nous montrent comment, patiemment, Donzelot reconstitue le domaine jusqu’aux 212 pièces de terrain, sur toutes les parties du cadastre, qui composent son patrimoine en 1838, date de sa dernière acquisition. On ne peut que souligner le contraste entre les successeurs de Lapoix-Fréminville, de Chompré, de Huguenot qui ne conservent pas leurs achats sous le Consulat à la fin de l’ère républicaine, et la durée de possession du général. On constate que les acquéreurs appartenaient à la haute administration civile et militaire, sans nul doute les seuls qui pouvaient réunir des fonds pour spéculer, sans pouvoir préciser comment Donzelot, ou plutôt Roméron son homme de confiance, a été mis en rapport avec Anatole Lambert. Il faut penser que c’est ce jour-là qu’il donne les indications pour la reconstruction du château de Girard et de la reconstitution des terres d’où il compte tirer les revenus qui lui permettront de profiter de sa retraite. Les précédents acquéreurs depuis l’an VII ainsi que les adjudicataires de biens ecclésiastiques peuvent être qualifiés de spéculateurs, à une époque où la possession de terres était la marque suprême de la réussite ; les achats en assignats permettaient alors de fructueuses opérations et il n’est pas étonnant de voir les terres passer de mains en mains tandis que les fermiers restent les mêmes. Cette spéculation se termine au 20ème siècle lorsque les ultimes terres agricoles, payées aux propriétaires entre cinquante et quatre-vingts centimes le m², sont immédiatement revendues, par des montages habiles de sociétés-écrans, plusieurs centaines de francs le même m² à la SEMEASO, cette société d’économie mixte chargée de réaliser le ’nouveau Neuilly’.

Le général est encore à Paris le 3 juillet 1816, alors Talleyrand a obtenu du congrès de Vienne la restauration des Bourbons. Il complète patiemment ses propriétés, et acquiert de Nicolas Antoine, le receveur à vie des contributions directes, une pièce de 13.802 m² sise au Fond de Gournay, limitée par le grand chemin, les terres de Maison Blanche et celles qui lui appartiennent déjà. Antoine l’avait acquise de la veuve Chrétien qui se l‘était fait adjuger à Gonesse le 2 ventôse an II, c’était donc un bien des ci-devant Messieurs les Chanoines du Louvre. C’est la seule transaction directe que nous trouvions entre Antoine et Donzelot (mais elle permet à Antoine lors de ses difficultés financières de prétendre que le général ; alors absent, est son débiteur). Il est désigné baron, grand-officier de la Légion d’Honneur, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, lieutenant général (c’est de ce titre qu’il fait précéder son paraphe). Il sera fait comte trois ans plus tard.

Toute une société apparaît autour du général Donzelot, présent ou absent, le cocher de Monsieur le Général Donzelot contracte mariage, son homme de confiance procède à des acquisitions ou à des échanges de terrains ; des habitants du château, dont le nom évoque la Franche-Comté, apparaissent dans les actes notariés ou de l’état-civil ; Ville-Évrard retrouve son lustre d’antan et aussi bien l’extérieur du domaine fait l’objet de soins attentifs (voir la facture Poli publiée dans notre Bulletin n°13) et l’intérieur est conçu pour abriter la collection de peintures italiennes dont seule la partie léguée à la ville de Besançon est connue et inventoriée.

Les titres de François-Xavier Donzelot
Engagé dans l’armée de Louis XVI sans pouvoir prétendre accéder aux grades supérieurs, réservés, à partir de colonel, aux officiers pouvant exciper de quatre quartiers de noblesse (dont le grand-père du grand-père au moins était noble), Donzelot ne peut que voir d’un bon œil la Révolution qui supprime ces privilèges ; et de fait il est nommé général de brigade à titre provisoire en Égypte (par Kléber) le 23 juin 1799 ; les bureaux parisiens confirment ce grade en mars 1802. Et le 6 décembre 1807 il obtient les étoiles de général de division, à l’armée de Naples. Ce grade qui couronne une carrière effectuée dans les états-majors (sous les ordres de Pichegru comtois comme lui, de Moreau- deux généraux hostiles au Premier Consul- , puis de Desaix en Égypte, d’Augereau de Bayonne à Brest lors de son retour armée dite des Côtes de l’Océan),il est versé à la Grande Armée comme chef d’état-major général du 7ème corps et à ce titre il fait les campagnes d’Allemagne de 1805 et 1806 contre la Prusse et la Russie ; en 1807 il n’est encore que commandant en second du corps d’occupation de Corfou dépendant de l’armée de Naples. C’est le 1er mai 1808 qu’il obtient le titre de commandant de la division des Sept-Iles et qu’il est officiellement gouverneur de Corfou. En juillet 1808 il est fait baron d’Empire (comme son voisin le conseiller Liborel) et officier de la Légion d’Honneur. Il quitte Corfou en 1814 : c’était le dernier point d’Europe où flottait le drapeau tricolore ; mais à son retour en France il se rallie à Louis XVIII qui le fait grand officier de la Légion d’Honneur et Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, décorations qu’il obtient en juillet et en août 1814. Il commande alors la 12ème région militaire (31 août 1814); mais il se rallie à l’Empereur lors de son retour de l’île d’Elbe, il commande à Waterloo avec le titre de commandant la 2ème division d’infanterie du 1er corps d’armée ; et, après la défaite irrémédiable, commande l’armée de la Loire qui ne peut protéger Paris de l’invasion des coalisés Russes et Prussiens. Il est placé en non-activité à la rentrée du Roi mais rentre très vite en grâce puisque Louis XVIII, par son ministre de la Guerre, Clarke duc de Feltre surnommé le maréchal d’Encre vu le temps qu’il a passé dans les bureaux, le nomme Inspecteur général de l’Infanterie le 18 août 1816 et l’envoie en Martinique en août 1817. Il le fait Comte le 22 août 1819 et désormais les actes notariés mentionnent ce titre. Quand il revient de la Martinique, après avoir sollicité son rappel en 1824, il est placé en disponibilité, avec la Grand- Croix de Saint Louis dont il est décoré en décembre 1825. Il a alors 62 ans ; le gouvernement de Louis-Philippe le tire du cadre de réserve en février 1831 pour l’y replacer définitivement par l’ordonnance du 5 avril 1832 au 1er mai de cette année.

Les derniers faits d’armes de Donzelot…à Ville-Évrard
Ces dates coïncident avec le séjour de plusieurs divisions de l’armée de terre à Ville-Évrard, dont plusieurs officiers et soldats ont contracté mariage et sont témoins à différents actes passés en Mairie. Ces troupes devaient s’instruire ou s’exercer sur les terres du Général Donzelot. Cela laisse à penser que les émeutes des ouvriers parisiens, succédant aux révoltes des canuts lyonnais, avaient poussé le gouvernement à placer au plus près de Paris des troupes sous le commandement d’officiers expérimentés, pour le cas où la situation nécessiterait leur intervention. Or les premiers chapitres de Daphné ou la seconde consultation du Docteur-Noir font justement référence à ces émeutes parisiennes et notamment au pillage de la bibliothèque de l’Archevêché dont Stello voit jeter dans la Seine des livres précieux. La référence aux émeutes lyonnaises de janvier 1832 était déjà explicite à la toute fin de Stello. Alfred de Vigny, familier de Guillaume Pauthier et de son grand-oncle le général Donzelot, aura trouvé une source d’inspiration au château de Ville-Évrard.

Comme Charles-Maurice de Talleyrand, François-Xavier Donzelot aura servi neuf régimes, de Louis XVI à Louis-Philippe en passant par la Révolution, le Directoire, l’Empire et les convulsions de 1815. A la différence du prince de Bénévent qui affirme dans ses Mémoires n’avoir trahi aucun régime avant qu’il se fût trahi lui-même, il les a tous servis loyalement. Certains indices laissent à penser que sa proximité du général Moreau aurait nui à son avancement lors des guerres de l’Empire et que sa nomination à Corfou aurait été un éloignement calculé. L’année 1815, il est notable qu’il serve successivement Louis XVIII, Napoléon et revienne quasi-immédiatement en grâce auprès des Bourbons. D’autres comme le maréchal Ney ont payé de leur vie cette attitude; les compétences d’administrateur de Donzelot sont apprécies et exploitées par la Restauration, et lui permettent d’amasser de confortables rémunérations. Le jugement que portait Vigny quelques jours avant sa mort sur l’exemplaire des Iles ioniennes sous le protectorat français, cet ouvrage que lui avait dédié Guillaume Pauthier : « le général Donzelot était d’une trempe romaine comme les Daumesnil et les Carnot », prouve que lui aussi était certainement un républicole comme l’écrivait le clerc de maître Debionne : un homme dévoué à l’intérêt public, dans des tâches où il excellait très loin des champs de bataille, en même temps qu’un militaire expérimenté sachant rétablir l’ordre et défendre les valeurs reconnues. Contre les Mamelouks de Mourad-Bey, contre les esclaves noirs du Carbet, contre les émeutiers de 1832 au besoin, il savait renverser une situation difficile et apprécier l’action à mener. Les grandes batailles n’étaient pas son fait : l’obéissance était sa vertu première. C’est certainement à lui que Vigny pensait en écrivant Servitude et grandeur militaires.